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Module 8 – Perspectives féministes décoloniales

Transcription – Module 8

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Une vidéo de 11 minutes et 45 secondes où la militante et autrice Alexandra Pierre présente les fondements des féminismes décoloniaux. La présente transcription compte 1898 mots.

Début de la vidéo

[Une musique de fond joue.]

[Image : On montre une très courte séquence d’ouverture; le logo du projet ATOPOS se trouve à gauche; au centre est inscrit le titre « Module 8 – Perspectives féministes décoloniales ». En arrière-plan, on montre une toile murale représentant une femme dans une communauté zapatiste, au Mexique, avec la légende (en espagnol) : « Le capitalisme transforme tout, absolument tout en marchandise. Pour lui, les femmes sont des objets de propagande. Assez de ce système capitaliste! » Dans le coin supérieur droit de l’écran se trouve le logo du Centre collégial de développement de matériel didactique.]

[Le volume de la musique de fond diminue et reste à peine audible jusqu’à la fin.]

[Image : On découvre l’intervenante invitée pour ce module, Alexandra Pierre, qui sourit à la caméra. Dans un bandeau au bas de l’écran, son nom est indiqué. Le logo du Centre collégial de développement de matériel didactique reste affiché dans le coin inférieur droit de l’écran. Alexandra Pierre s’adresse directement à la présentatrice, qui est assise hors champ. Tout au long de l’entretien, la prise de vue alterne entre divers plans rapprochés à la taille et à la poitrine ainsi qu’un gros plan sur le visage de l’intervenante.]

Alexandra Pierre : Je m’appelle Alexandra Pierre. Je suis une militante féministe et antiraciste, et aussi autrice du livre Empreintes de résistance, et je vais vous présenter les féminismes décoloniaux.

[Infographie : À la gauche de l’écran, on montre la page couverture du livre Empreintes de résistance, d’Alexandra Pierre.]

[Audio : En voix hors champ, la présentatrice pose une première question.]

[Infographie : Au centre de l’écran, on relève la question : « Que sont les féminismes décoloniaux? »]

Sophie Savard-Laroche : Que sont les féminismes décoloniaux?

Alexandra Pierre : Alors, les féminismes décoloniaux, c’est avant tout une critique du féminisme occidental, ou féminisme blanc. L’idée des féminismes décoloniaux, c’est de constater ou, en tout cas, de reconnaître que le féminisme tel qu’on le connaît ici est ancré, structuré, dans des sociétés qui sont traversées par des histoires de colonisation.

[Image : On montre brièvement la présentatrice en position d’écoute active, puis on revient à un plan rapproché d’Alexandra Pierre.]

Les féminismes décoloniaux cherchent à comprendre notamment le rôle des femmes dans ces empires coloniaux et dans ce colonialisme. Ça, c’est en premier lieu.

Les féminismes décoloniaux cherchent – et c’est peut-être ça le plus important – à mettre en lumière les pratiques, les savoirs, les épistémologies des féministes et des femmes minorisées. Donc, c’est vraiment une contestation de l’universalisme du féminisme occidental.

Elles contestent même aussi l’idée du genre. On parle de colonialité du genre, en disant que le genre est aussi une conception, ou une ontologie, qui est ancrée dans la société occidentale, donc qui a toute sa légitimité, mais qui ne peut pas prétendre parler, comprendre le contexte de toutes les femmes et de toutes les féministes.

[Audio : En voix hors champ, la présentatrice pose une deuxième question.]

[Infographie : Au centre de l’écran, on relève la question : « En quoi les féminismes décoloniaux sont-ils utiles pour penser des enjeux actuels? »]

Sophie : En quoi les féminismes décoloniaux sont-ils utiles pour penser des enjeux actuels?

Alexandra : Ça peut nous aider sur deux exemples. Donc, l’exemple de la réconciliation des relations avec les peuples autochtones, mais aussi l’exemple de la Loi 21, qui visait au Québec, ou qui vise, puisqu’elle a été adoptée, à empêcher le port de signes religieux dans certaines fonctions. On sait tous – c’est un secret de Polichinelle – que cette loi-là visait beaucoup les femmes musulmanes voilées.

La perspective des féminismes décoloniaux là-dessus, c’est de dire qu’en adoptant cette loi-là, on a très peu pris en compte les luttes menées ici et ailleurs par les femmes et les féministes musulmanes.

À l’époque de l’adoption de cette loi-là, il y a eu plusieurs sondages, plusieurs recherches, et quand on parlait aux femmes et aux féministes musulmanes, elles disaient : « Nos préoccupations en ce moment, ce n’est pas du tout la question du voile, c’est les questions d’intégration au marché du travail, les questions de racisme et de violence qu’on peut subir dans l’espace public (avec tous les débats qui entouraient les accommodements raisonnables, la loi sur la laïcité, etc.), pas du tout le voile. »

Or, on est arrivés avec cette solution-là de la Loi 21 qui, grosso modo, disait : « On va vous libérer malgré vous. On va vous imposer cette loi-là pour être sûrs que vous ne soyez pas opprimées, même si vous nous dites que l’oppression que vous subissez vient d’ailleurs. »

Si on avait écouté les féministes décoloniales, on se serait rendu compte qu’il y avait des priorités, des expériences qui étaient tout à fait différentes de ce qu’on assumait et que ces savoirs-là auraient été utiles pour mettre en avant des solutions plus adaptées aux problèmes ou aux enjeux auxquels ces femmes et ces féminismes étaient confrontés.

L’analyse qu’ont faite les féministes décoloniales sur cette question-là, c’était de dire : « On est dans un féminisme civilisationnel, c’est-à-dire que l’on considère les féministes occidentales comme plus avancées et capables d’imposer ou de dire à d’autres femmes comment elles devraient être libérées. »

Le deuxième exemple, c’est celui du travail en cours, encore à faire, de la réconciliation. Le mouvement des femmes autochtones est très pluriel, mais la transmission de la langue, de la connaissance du territoire, du care auprès des communautés est très importante dans ces mouvements féministes, qui sont par ailleurs très pluriels.

Ces focus-là pourraient paraître essentialistes à des féministes occidentales. Compte tenu de comment la colonisation a affecté les femmes et les communautés autochtones (la dépossession territoriale, les empêcher d’avoir ou d’élever leurs enfants par la stérilisation forcée ou par les vagues d’enlèvements d’enfants ou par le rôle des institutions de protection de l’enfance), tout ça fait en sorte que le care autour des communautés, autour de la transmission, est très important.

[Image : On montre brièvement la présentatrice en position d’écoute active, puis on revient à un plan rapproché d’Alexandra Pierre.]

Donc, ce que nous disent les féminismes décoloniaux, c’est que les féministes ou les mouvements des femmes sont toujours en contexte. Selon ce à quoi elles sont confrontées, elles vont développer, évidemment, leurs propres solutions. Dans ce cas-là, cette dépossession territoriale.

Et je pense que les féminismes décoloniaux, si on met les féministes ou les mouvements des femmes autochtones sous ce chapeau-là, peuvent être très utiles puisque les femmes autochtones ont une expérience très concrète des institutions, notamment les protections de la jeunesse, l’école, les systèmes de santé aussi, et que ces expériences-là peuvent nous en apprendre sur comment se manifestent ces politiques d’assimilation, ces politiques racistes, et aussi sur leur rôle, qui est une question assez délicate que les féministes décoloniales posent : quel est le rôle des femmes dans ces institutions-là?

Si on pense à la DPJ, si on pense aux systèmes de santé – et on a en tête la mort de Joyce Echaquan –, ces systèmes racistes, colonialistes, qui perdurent, existent encore, et les femmes ont un rôle central dans ces institutions-là, que ça vaut la peine d’examiner pour comprendre comment ces institutions fonctionnent, pour comprendre aussi l’impact qu’elles ont sur d’autres femmes.

Et je pense que ça, c’est une des choses des féminismes décoloniaux, qui disent : « Il n’y a pas de liens ou d’intérêts communs évidents entre les femmes, c’est-à-dire que si on a des solidarités, c’est des solidarités à créer parce que, avec le colonialisme, notamment, les femmes n’ont pas toutes été dans le même camp tout le temps. » Il y a eu des femmes esclavagistes, il y a eu des femmes eugénistes, donc qui ont prôné la pureté de la race blanche, il y a eu des femmes qui ont eu des rôles, comme des congrégations religieuses qui ont mis en esclavage des personnes autochtones, des personnes noires, qui ont eu des rôles – comme je le disais tout à l’heure – dans les systèmes de santé, les systèmes de protection de la jeunesse, dans les écoles.

Donc, la solidarité n’est pas naturelle, elle est à créer. Il n’y a pas a priori d’intérêts communs entre les femmes puisqu’il y a des histoires différentes. Ceci ne veut pas dire qu’il ne peut pas y avoir un mouvement féministe commun. Ça veut dire que ce n’est pas naturel, qu’il faut le créer. Et pour créer ces solidarités-là, il faut avoir aussi le courage de regarder le passé.

[Audio : En voix hors champ, la présentatrice pose une troisième question.]

[Infographie : Au centre de l’écran, on relève la question : « En quoi les féminismes décoloniaux sont-ils utiles pour penser des enjeux de justice environnementale? »]

Sophie : En quoi les féminismes décoloniaux sont-ils utiles pour penser des enjeux de justice environnementale?

Alexandra : Les féminismes décoloniaux se penchent particulièrement sur les injustices épistémiques. Donc, les injustices épistémiques, les femmes et les féministes minorisées ont très peu de crédibilité quand il s’agit de mettre en avant ou de parler de leurs savoirs dans la manière dont la connaissance est construite. Elles ont des places un peu subalternes. Dans la recherche, mais aussi dans les pratiques communautaires, leur voix est très peu écoutée et leur savoir est très peu pris au sérieux.

Dans un contexte de crise environnementale, particulièrement de crise climatique, cette idée d’injustice épistémique est à prendre à bras-le-corps puisque, comme dans d’autres domaines, les femmes et les féministes minorisées ont des savoirs, des pratiques qui pourraient être très utiles et qu’on pourrait mettre en avant pour non seulement essayer de réduire notre empreinte sur l’environnement et sur la planète, mais aussi de penser à la fois écologie et justice sociale.

Donc, l’idée de sauver la planète certes, mais il y a des gens et des femmes qui vivent sur cette planète et on ne peut pas prétendre sauver la planète sans ces personnes.

On sait que les mouvements écologistes sont très blancs, qu’il y a de plus en plus, mais quand même peu de personnes racisées, encore moins de femmes racisées, qui ont le leadership dans ces mouvements-là, au Québec.

On sait par ailleurs que les femmes racisées, les femmes autochtones, sont celles qui risquent d’être les plus impactées par les transformations, les changements climatiques.

Pour moi, le lien entre les féminismes décoloniaux et ces crises environnementales, c’est l’importance d’écouter ces savoirs pour arriver à des solutions qui sont à la fois la protection de l’environnement et à la fois la justice sociale. Si on ne fait pas ça, le danger, c’est de répéter des politiques ou des pratiques qui sauvent la planète ou qui protègent l’environnement, mais seulement pour certaines personnes.

[Fondu au noir.]

Fin de la vidéo

Début du texte du générique de la vidéo

Conception pédagogique

Benoît D’Amours Sophie Savard-Laroche

Présentatrice

Sophie Savard-Laroche

Personne invitée

Alexandra Pierre

Production vidéo

Production Arborescence

Chargé de projet CCDMD

Michel Hardy-Vallée

Fin du texte du générique de la vidéo

[La musique de fond cesse.]

[Texte à l’écran : https://atopos.ccdmd.qc.ca © Centre collégial de développement de matériel didactique, Collège de Maisonneuve, 2025]