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Module 10 – Perspectives des éthiques du care

Transcription – Module 10

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Une vidéo de 10 minutes et 27 secondes où l’enseignante en philosophie Romane marcotte présente les fondements des éthiques du care. La présente transcription compte 2352 mots.

Début de la vidéo

[Une musique de fond joue.]

[Image : On montre une très courte séquence d’ouverture; le logo du projet ATOPOS se trouve à gauche; au centre est inscrit le titre « Module 10 – Perspectives des éthiques du care ». En arrière-plan, on montre une illustration représentant plusieurs paires de mains formant un cercle intime, paumes vers le haut. Dans le coin supérieur droit de l’écran se trouve le logo du Centre collégial de développement de matériel didactique.]

[Le volume de la musique de fond diminue et reste à peine audible jusqu’au début du générique.]

[Image : On découvre l’intervenante invitée pour ce module, Romane Marcotte, qui sourit à la caméra. Dans un bandeau au bas de l’écran, son nom est indiqué. Le logo du Centre collégial de développement de matériel didactique reste affiché dans le coin inférieur droit de l’écran. Romane Marcotte s’adresse directement à la présentatrice, qui est assise hors champ. Tout au long de l’entretien, la prise de vue alterne entre divers plans rapprochés à la taille et à la poitrine ainsi qu’un gros plan sur le visage de l’intervenante.]

Romane Marcotte : Je m’appelle Romane Marcotte. Je suis enseignante en philosophie au Cégep Garneau et j’ai réalisé un mémoire de maîtrise sur les éthiques du care et la pensée de Simone de Beauvoir. Aujourd’hui, je suis là pour vous parler des éthiques du care.

[Audio : En voix hors champ, la présentatrice pose une première question.]

[Infographie : Au centre de l’écran, on relève la question : « Que sont les éthiques du care? »]

Sophie Savard-Laroche : Que sont les éthiques du care?

Romane : Les éthiques du care, c’est un courant philosophique qui est très dynamique, qui a même des ramifications dans plusieurs sciences humaines. C’est un peu difficile à résumer, mais j’irais avec trois grandes thèses partagées par les éthiques du care.

La première thèse des éthiques du care, c’est l’idée que l’être humain est vulnérable. Donc, c’est une thèse anthropologique qui insiste sur le fait que tous les êtres humains ont en commun d’avoir une certaine fragilité physiologique ou psychologique. C’est une fragilité qui peut être présente de façon plus ou moins intense selon la situation. Elle est plus intense quand on est malades, par exemple, quand on est dans une situation peut-être de précarité économique, mais elle est partagée par tous les humains.

Les éthiques du care vont parler d’interdépendance. C’est le fait qu’on dépende tous d’autres êtres humains pour survivre. Et quand on est assez chanceux pour être moins vulnérables, bien souvent, il y a d’autres personnes qui dépendent de nous.

Et à partir de cette thèse anthropologique, les éthiques du care développent une thèse éthique. On a un devoir éthique de maintenir les relations de dépendance autour de nous, d’accomplir nos responsabilités dans ces relations, c’est-à-dire de prendre soin des gens qui ont besoin de notre aide. Et pour que ces relations se passent bien, les éthiques du care nous encouragent à développer une disposition au souci, donc à être capables de se soucier des autres, ce qui veut dire être capables de faire preuve d’attention, une attention intellectuelle et émotionnelle aux besoins des gens qui nous entourent. Intellectuelle parce que comprendre comment les besoins physiologiques, psychologiques fonctionnent, ce n’est pas simple.

[Image : On montre brièvement la présentatrice en position d’écoute active, puis on revient à un plan rapproché de Romane Marcotte.]

Mais aussi émotionnelle, parce que les émotions et notre empathie nous informent des besoins des autres, qui ne sont pas toujours très clairement exprimés.

Donc, la troisième thèse des éthiques du care est une thèse politique. Donc, les éthiques du care remarquent que, dans les sociétés occidentales, ce ne sont pas tous les individus qui sont amenés à développer les dispositions aux soins et à s’engager dans les relations de soin.

Qui sont ces personnes-là particulièrement? Les éthiques du care ont remarqué que c’est en premier lieu les femmes : l’oppression patriarcale, depuis des temps immémoriaux, s’assure que les femmes assurent le travail de care dans leur sphère familiale, dans leur société.

Les éthiques du care ont aussi une perspective intersectionnelle, c’est-à-dire qu’elles vont s’intéresser aux interactions entre différentes formes d’oppression.

[Infographie : À la gauche de l’écran, on relève le nom de l’autrice Elsa Dorlin.]

Ça a été remarqué dans les travaux, par exemple, d’Elsa Dorlin, qui a remarqué que, par exemple aux États-Unis, les femmes souvent blanches qui en avaient les moyens économiquement, engageaient des femmes pour faire le ménage chez elles – qui étaient souvent des femmes racisées – et elles avaient plus de temps pour faire un care psychologique émotionnel.

Le care peut prendre toutes sortes de formes, et il va être réparti souvent selon des dynamiques d’oppression; les gens moins privilégiés se ramassent à faire le care moins valorisé et les gens un peu plus privilégiés font le care un peu plus valorisé. Mais c’est une injustice qui est à l’origine de ça et que les éthiques du care veulent dénoncer.

Et, de façon générale, toutes les formes de care ont tendance à être invisibilisées, à ne pas être suffisamment valorisées. Et les éthiques du care dénoncent ça aussi. Elles nous invitent à réviser nos préjugés qui, dans l’histoire de la philosophie notamment, nous ont amenés à accorder une priorité à certaines activités plus qu’à d’autres.

[Audio : En voix hors champ, la présentatrice pose une deuxième question.]

[Infographie : Au centre de l’écran, on relève la question : « En quoi les éthiques du care sont-elles utiles pour penser des enjeux actuels? »]

Sophie : En quoi les éthiques du care sont-elles utiles pour penser des enjeux actuels?

Romane : Les éthiques du care nous permettent de remarquer, justement, à quel point le travail de care est invisibilisé politiquement. Je pense que c’est une des choses sur lesquelles elles peuvent attirer le plus notre attention. Et les éthiques du care nous permettaient d’avoir un regard, une grille d’analyse très intéressante, pendant, notamment, la pandémie de coronavirus.

La pandémie de coronavirus, ça a été un moment de très grande vulnérabilité collective, aussi bien physiologique que psychologique ou économique. La raison de cette vulnérabilité, c’était en partie le fait que le virus était dangereux, mais aussi en grande partie le fait que tous les systèmes par lesquels on accueille cette vulnérabilité – je pense aux systèmes de soins de santé, je pense aux systèmes d’entraide communautaire, je pense aux systèmes scolaires –, tous ces systèmes-là étaient fragilisés depuis de nombreuses années en Occident parce qu’on ne les avait pas mis à l’avant suffisamment de nos priorités politiques.

Ce qui fait qu’on a développé les services de l’État-providence avec une forme de paradoxe : on offre des services, mais on veut que les gens soient les moins dépendants possibles. Donc, on offre des services, mais il ne faut pas qu’on en offre trop.

Et souvent, quand on avait des coupes budgétaires à faire, quand il y a un service où il fallait demander à des gens de faire plus avec moins, c’était justement ces services communautaires, ces services de santé, ces services d’éducation.

C’est ce qui fait que, quand une catastrophe naturelle comme une pandémie se produit, tous ces systèmes-là sont très rapidement déstabilisés, très rapidement dépassés. C’est une situation dont les éthiques du care nous avertissaient depuis plusieurs années.

[Infographie : À la gauche de l’écran, on relève le nom de la chercheuse Patricia Paperman.]

Un terme d’une chercheuse qui s’appelle Patricia Paperman, une expression qu’elle avait, c’est : « en Occident, on va vivre bientôt une crise du care. »

Comment on explique la crise du care? Le care était délégué par des dynamiques d’oppression et exercé dans des mauvaises conditions. Donc, dès que les personnes qui le faisaient avaient l’occasion de ne plus le faire, elles ont cessé de faire le travail du care – ou le plus possible –, mais on continue d’en avoir besoin; notre vulnérabilité ne diminue pas.

Et donc on se trouve dans une situation où on a beaucoup de vulnérabilité, très peu de personnes qui peuvent, qui veulent le prendre en charge, et ça crée justement des situations de crise.

Et donc si vous voulez être capables de prendre en charge le travail du soin, il faut que vous le considériez comme une priorité politique. Il faut que vous valorisiez ce travail-là, que vous compreniez à quel point c’est un travail essentiel. Le valoriser, ça veut dire le valoriser économiquement, ça veut dire aussi le valoriser épistémiquement.

Les personnes qui font le travail du soin, c’est les personnes qui sont souvent les plus à même de développer les fameuses dispositions éthiques du soin parce que des dispositions, des qualités, ça se développe par l’habitude. Or, ce n’est pas nécessairement ces personnes-là qu’on écoute le plus quand il faut organiser justement les soins.

Donc, les éthiques du care nous disent donner, justement, écouter ces travailleurs, ces travailleuses-là. C’est comme ça qu’on va prendre des bonnes décisions collectives.

[Audio : En voix hors champ, la présentatrice pose une troisième question.]

[Infographie : Au centre de l’écran, on relève la question : « Quels liens peut-on faire entre les éthiques du care et la pensée de Simone de Beauvoir? »]

Sophie : Quels liens peut-on faire entre les éthiques du care et la pensée de Simone de Beauvoir?

Romane : J’ai trouvé intéressant de relier ces deux pensées dans mes recherches parce qu’elles s’intéressent les deux, justement, aux activités du travail de care. Beauvoir va plus parler de travail domestique, mais elles ont un regard vraiment opposé sur cette même activité.

À quoi tient le conflit entre les éthiques du care et Simone de Beauvoir? Les éthiques du care, on vient d’en parler, elles insistent pour qu’on remarque toute la valeur éthique et politique du travail de care, dont fait notamment partie le travail ménager.

Or, Simone de Beauvoir est assez méfiante de ce travail-là. Simone de Beauvoir est une philosophe féministe. On résume souvent sa pensée féministe par la fameuse phrase « On ne naît pas femme, on le devient. » Comment on explique cette phrase-là? C’est que pour Simone de Beauvoir, étant donné qu’elle est existentialiste, elle pense que les habitudes et le mode de vie des femmes ne sont pas un destin, n’est pas une obligation. Il n’y a pas une définition magique biologique qui dirige la vie des femmes. Cependant, si les femmes ont une vie, des activités différentes, c’est inculqué par une forme d’éducation.

Les éthiques du care seraient d’accord avec ça. Simone de Beauvoir insiste cependant pour dire que cette éducation-là n’est pas une bonne chose, parce qu’on éduque les femmes pour qu’elles soient passives, pour qu’elles se pensent au service des autres et qu’elles fassent un travail au quotidien qui les empêche d’exercer une liberté dont elles ont besoin pour donner sens à leur vie comme tous les êtres humains d’ailleurs. Puis, donner sens à notre vie, pour Beauvoir, ça passe par, surtout, un travail créatif, un travail intellectuel qui a tendance à être différent du travail de care.

Donc, quand on confronte ces deux pensées-là, on peut les enrichir mutuellement.

D’abord, le travail de Beauvoir, parce qu’elle insiste sur le fait que les femmes devraient avoir le choix de faire du travail de care ou pas et devraient avoir l’occasion de s’exprimer créativement. Et c’est, je pense, tout à fait recommandable d’un point de vue féministe, mais les éthiques du care permettent de lever un petit drapeau rouge en disant : « Attention, si les projets d’émancipation ne réfléchissent pas à ce qu’on va faire avec le travail de care, dont on ne peut jamais se débarrasser, parce qu’on peut toujours être vulnérables, il y a une bonne chance que ce travail-là soit simplement délégué à d’autres personnes moins privilégiées, et ce ne sera pas une réelle émancipation. Ce ne sera pas satisfaisant. »

Cela dit, Beauvoir permet aussi d’enrichir la pensée des éthiques du care. Pourquoi? Parce qu’elle a réfléchi aux conditions dans lesquelles le soin pouvait mal se dérouler, et il faut quand même souligner ça. Les relations de soin qui mettent en lien une personne souvent dépendante et une personne un peu moins dépendante, c’est des relations inégalitaires où il y a des dynamiques de pouvoir qui peuvent s’installer.

Elle a aussi vraiment pris au sérieux la pénibilité, la grande difficulté du travail de soin. Et donc elle se concentre beaucoup sur le travail domestique, qui est un travail répétitif, un travail circulaire, un travail qui nous demande d’être soumis aux lois de la nature. Ça peut créer une frustration. Si on transpose ça au milieu de la santé, par exemple, on ne peut pas donner aux gens qui travaillent dans le système hospitalier un horaire simplement de 9 à 5, parce que les gens se blessent et sont malades à toute heure du jour et de la nuit. Donc, il faut qu’on s’adapte aux besoins humains qui sont imprévisibles, qui sont naturels. Et ça vient parfois avec une grande fatigue, une grande frustration. Et les éthiques du care veulent vraiment éviter d’idéaliser le travail du soin.

[Infographie : À la gauche de l’écran on montre la couverture du livre Le deuxième sexe, de Simone de Beauvoir.]

Donc, Beauvoir est un peu en cohérence dans leurs démarches quand elle fait ces analyses-là, puis elle les enrichit, il me semble, dans ses descriptions qu’on retrouve dans son livre Le deuxième sexe.

[Fondu au noir.]

[Le volume de la musique de fond remonte.]

Fin de la vidéo

Début du texte du générique de la vidéo

Conception pédagogique

Benoît D’Amours Sophie Savard-Laroche

Présentatrice

Sophie Savard-Laroche

Personne invitée

Romane Marcotte

Production vidéo

Production Arborescence

Chargé de projet CCDMD

Michel Hardy-Vallée

Fin du texte du générique de la vidéo

[La musique de fond cesse.]

[Texte à l’écran : https://atopos.ccdmd.qc.ca © Centre collégial de développement de matériel didactique, Collège de Maisonneuve, 2025]