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Module 12 – Perspectives autochtones

Transcription – Module 12

Aperçu de la vidéo

Une vidéo de 8 minutes et 50 secondes où la chargée de cours innue Marie-Émilie Lacroix présente les fondements de l’enseignement autochtone. La présente transcription compte 1988 mots.

Début de la vidéo

[Une musique de fond joue.]

[Image : On montre une très courte séquence d’ouverture; le logo du projet ATOPOS se trouve à gauche; au centre est inscrit le titre « Module 12 – Perspectives autochtones ». En arrière-plan, on montre une illustration de l’artiste chilienne Luisa Rivera représentant une femme autochtone en communion avec les éléments naturels. Dans le coin supérieur droit de l’écran se trouve le logo du Centre collégial de développement de matériel didactique.]

[Le volume de la musique de fond diminue et reste à peine audible jusqu’au début du générique.]

[Image : On découvre l’intervenante invitée pour ce module, Marie-Émilie Lacroix, qui sourit à la caméra. Dans un bandeau au bas de l’écran, son nom est indiqué. Le logo du Centre collégial de développement de matériel didactique reste affiché dans le coin inférieur droit de l’écran. Marie-Émilie Lacroix s’adresse directement à la présentatrice, qui est assise hors champ. Tout au long de l’entretien, la prise de vue alterne entre divers plans rapprochés à la taille et à la poitrine ainsi qu’un gros plan sur le visage de l’intervenante.]

Marie-Émilie Lacroix : Kuei, Marie-Émilie, nutishinikashin Pekuakimilnuth nutshin, dans ma langue innue.

Je suis enseignante à l’université, chargée de cours, exactement, à l’UQAR. Depuis plusieurs années, j’enseigne des cours dans le département de travail social pour préparer les intervenants en travail social, puis aussi en soins infirmiers. C’est un cours qui se nomme « Communautés autochtones, violences coloniales et santé mentale ».

Aujourd’hui, je viens vous parler surtout de comment j’enseigne, comment je parle de ma pédagogie autochtone, que j’ai comme adaptée moi-même.

[Audio : En voix hors champ, la présentatrice pose une première question.]

[Infographie : Au centre de l’écran, on relève la question : « Qu’est-ce que la perspective autochtone? »]

Sophie Savard-Laroche : Qu’est-ce que la perspective autochtone?

Marie-Émilie Lacroix : Perspective autochtone, ou pédagogie autochtone, pour moi, c’est un peu semblable, ça va dans le même sens, dans le fond. C’est la façon qu’on enseigne. Dans la pédagogie autochtone, le principe de base, si on parle de philosophie autochtone, que j’enseigne, se résume en trois mots : observe, écoute, agis.

C’est ce que je veux faire vivre dans les cours aux étudiants. Leur faire apprendre par observations. Leur faire désapprendre aussi, pour ensuite apprendre par des expérimentations, mais beaucoup de rencontres. Ce qui manque en pédagogie, c’est les rencontres, c’est le vécu, c’est la démarche intérieure que chaque personne doit faire. Je ne veux pas apporter sur un plateau des connaissances. Mon cours n’est pas théorique. Je pense qu’une pédagogie autochtone, ce ne peut pas être théorique. Il faut que ce soit surtout expérientiel. Il faut que ce soit fait de rencontres. Il faut que ce soit fait aussi de témoignages.

Et on fait un grand voyage dans l’histoire, parce que je ne pense pas qu’on puisse changer des contenus ou enseigner des cultures autochtones sans avoir la base de l’histoire.

Je suis contente qu’aujourd’hui, on voit de plus en plus de personnes autochtones qui se promènent à travers la province pour faire connaître l’histoire, parce que je pense qu’elle a été écrite d’une façon, a été présentée d’une façon. Maintenant, pour que ce soit vraiment en lien avec la Commission de vérité et réconciliation (CVR), il faut que ce soit des Autochtones qui présentent leur propre histoire.

[Audio : En voix hors champ, la présentatrice pose une deuxième question.]

[Infographie : Au centre de l’écran, on relève la question : « En quoi la perspective autochtone est-elle utile pour penser des enjeux actuels? »]

Sophie : En quoi la perspective autochtone est-elle utile pour penser des enjeux actuels?

Marie-Émilie : Dans la société ici, occidentale, tout est déjà pensé d’avance; le système éducatif n’a pas changé depuis des années, et on se rend compte que les jeunes qui sont rendus même à l’université ont encore les mêmes schémas de pensée. Il y a encore le manque d’information, parce qu’on ne peut pas avoir un impact sur les contacts actuels entre Autochtones et non-Autochtones si on ne passe pas par ce changement de base, qui est la rencontre, pour qu’on puisse ensuite justement faire le chemin ensemble. L’avenir, on va l’écrire ensemble. Le nouveau chapitre de l’histoire, on va l’écrire ensemble. Mais si on ne se rencontre pas, on ne pourra pas le faire.

Il y a trois mots auxquels je dis que je suis allergique, parce que quand on parle de culture autochtone, quand on parle de pédagogie autochtone, une des bases essentielles, c’est le vocabulaire. C’est-à-dire que si on ne se comprend pas, on ne peut pas aller loin ensemble. Et, souvent, on est comme dans un système où on nous impose des mots.

Sont arrivés dernièrement les mots « autochtonisation », « décolonisation » et « réconciliation ». Ça, ça a un impact direct sur le présent, mais autochtonisation… Je fais toujours de l’humour. Je dis à mes étudiants : « Si je vous parle d’alphabétisation, qu’est-ce que ça veut dire? Alphabétisation, ça veut dire apprendre l’alphabet, apprendre à lire. Mais si je vous dis autochtonisation, c’est apprendre à devenir autochtone? »

Même sur les communautés, on en parle, puis on ne comprend pas ce que veut dire vraiment ce mot-là. Alors, moi je les ai traduits dans ma langue. C’est « accueil des personnes et des savoirs autochtones dans les institutions ». Je trouve ça plus significatif et beaucoup plus parlant que « autochtonisation ».

Puis « décolonisation », ça aussi, le dictionnaire dit que c’est renverser la colonisation. Mais ce n’est pas possible ça. Ce n’est pas possible; on a beau faire tous les efforts qu’on voudra et avoir toute la bonne volonté du monde, ce n’est pas possible de renverser la colonisation.

Donc, qu’est-ce qu’il faut faire? Bien, il faut guérir. Il faut guérir de la colonisation.

Les Autochtones, on a des blessures importantes de la colonisation. Les non-Autochtones ont besoin de connaître nos blessures, mais les non-Autochtones – je parle des Français en particulier – ont des blessures aussi de colonisation. Alors, tout le monde, on devrait se guérir chacun, puis ensuite, on pourra se comprendre déjà mieux.

Puis la réconciliation, c’est très simple. La réconciliation, d’habitude, ça se fait après qu’il y ait eu une chicane ou qu’il y ait eu un mauvais moment ensemble. Mais les Autochtones avec les Québécois, on n’a pas eu ça. Est-ce qu’on a besoin de se rencontrer? Il y a eu un rendez-vous manqué dans l’histoire. La réconciliation, c’est la rencontre, c’est se rencontrer ensemble, c’est partager ensemble, c’est vivre des expériences ensemble. C’est rire, c’est danser, c’est chanter ensemble… C’est être humain avant tout.

[Audio : En voix hors champ, la présentatrice pose une troisième question.]

[Infographie : Au centre de l’écran, on relève la question : « Pourquoi apprendre doit être lié à des pratiques concrètes? »]

Sophie : Pourquoi apprendre doit être lié à des pratiques concrètes?

Marie-Émilie : Parce que ça passe par les sens. Quelque chose qui est juste intellectuel, ça peut frapper certaines personnes, mais la plupart des gens ne vont pas avoir l’impression ou les émotions qui vont avec l’apprentissage.

Ça fait une dizaine d’années que j’anime « l’exercice des couvertures ». C’est une technique d’impact. Les gens qui embarquent sur des couvertures deviennent des Autochtones, puis ils vivent 500 ans d’histoire en une heure. Après, on fait un cercle et ils nous disent comment ils se sont sentis parce que, dans le cercle, il y a beaucoup de gens qui pleurent. Puis je leur dis : « Bien oui, mais ne vous excusez pas pour pleurer. » Il y a eu des émotions, il y a de la culpabilité. La culpabilité, ça, on n’en veut pas; on ne construit rien avec la culpabilité.

C’est une expérience qui est très concrète. On place les couvertures sur le sol, et ça représente l’Île de la Tortue avant l’arrivée des Européens. Je mets toujours ma grosse tortue au centre, puis je leur explique pourquoi la tortue est là, parce que ça part de la légende de la Création.

[Image : On montre brièvement la présentatrice en position d’écoute active, puis on revient à un plan rapproché de Marie-Émilie Lacroix.]

Et, ensuite, je leur demande d’apporter un objet personnel qui est important pour eux. Il y a mon conjoint qui fait le rôle d’un Européen – il est Européen de toute façon –, puis on lit des textes, on leur fait vivre des événements qu’on a vécus comme les couvertures infestées. Ensuite, la mise en réserve, les pensionnats, la rafle des années 1960, les Béothuks qui ont été éliminées, l’Ouest qui a été conquis, le Nord où ils se sont fait tuer leurs chiens. On vit vraiment des événements importants de l’histoire.

On enlève les objets, c’est évident. Puis l’Européen, il ne leur demande pas : « Donne-moi-le, s’il te plaît ». Il les arrache, et les gens sont… Wow! Puis je donne des poupées. Je donne des poupées aux gens, puis je m’organise toujours pour avoir un homme et une femme, pour leur faire sentir comment c’est de se faire enlever un enfant. C’est une poupée, mais je leur dis : « Tu en prends soin comme si c’était un vrai enfant. » Et quand l’Européen arrache l’enfant – la poupée –, puis la met au pensionnat, tu vois la réaction des gens : ils se sont attachés à la poupée parce qu’ils ont pris le rôle au sérieux.

Parce qu’après, dans le cercle, il y a beaucoup d’émotions. Parce qu’il y en a beaucoup qui amènent des objets très symboliques. Il y a encore des cendres des grands-parents ou des choses comme ça. Quand ils se font enlever ça… Ou leur doudou quand ils étaient bébés, ou peu importe. « Ça vient de mes grands-parents qui sont morts l’année passée ». Ça pleure, et les gens vivent des émotions. C’est vraiment ça qui enseigne, c’est vraiment ce qui enseigne le plus.

Moi, je veux dire aux gens que ce n’est pas possible de ne pas rencontrer d’Autochtones dans votre future carrière, parce qu’à l’heure actuelle, on est 60 % des Autochtones qui quittent les communautés. Parce qu’il y en a beaucoup, de plus en plus, qui sont en ville, de plus en plus dans les universités ou dans les cégeps ou dans les milieux de travail. Il faut vous préparer à vivre avec eux, puis vous allez avoir un choc culturel. Puis c’est important, ce choc culturel là. Nous, on l’a quand on arrive en ville, mais vous, vous l’avez quand vous nous rencontrez.

Et ce choc culturel là, il doit se préparer, justement, peut-être de façon individuelle, parce que c’est votre responsabilité. On parlait de culpabilité, mais il ne faut pas que les gens aient de la culpabilité par rapport au passé des Autochtones, mais il faut qu’il y ait une responsabilisation. La responsabilisation, c’est de s’informer soi-même, c’est de se cultiver soi-même, puis d’aller rencontrer les Autochtones ou d’assister à des activités autochtones – il y en a tellement maintenant – pour être capable ensuite d’avoir une image personnelle, pas formée par personne d’autre.

J’insiste beaucoup sur le fait de désapprendre, puis d’apprendre pour être capable ensuite d’intervenir avec humilité et avec une conscience culturelle.

[Fondu au noir.]

[Le volume de la musique de fond remonte.]

Fin de la vidéo

Début du texte du générique de la vidéo

Conception pédagogique

Benoît D’Amours Sophie Savard-Laroche

Présentatrice

Sophie Savard-Laroche

Personne invitée

Marie-Émilie Lacroix

Production vidéo

Production Arborescence

Chargé de projet CCDMD

Michel Hardy-Vallée

Fin du texte du générique de la vidéo

[La musique de fond cesse.]

[Texte à l’écran : https://atopos.ccdmd.qc.ca © Centre collégial de développement de matériel didactique, Collège de Maisonneuve, 2025]