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Module 9 – Perspectives africaines

Transcription – Module 9

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Une vidéo de 9 minutes et 03 secondes où le docteur en philosophie Christian Djoko Kamgain présente les fondements des philosophies africaines. La présente transcription compte 2112 mots.

Début de la vidéo

[Une musique de fond joue.]

[Image : On montre une très courte séquence d’ouverture; le logo du projet ATOPOS se trouve à gauche; au centre est inscrit le titre « Module 9 – Perspectives africaines ». En arrière-plan, on montre une illustration représentant plusieurs paires de mains tirant sur une corde à l’unisson. Dans le coin supérieur droit de l’écran se trouve le logo du Centre collégial de développement de matériel didactique.]

[Image : on découvre l’intervenant invité pour ce module, Christian Djoko Kamgain, qui sourit à la caméra. Dans un bandeau au bas de l’écran, son nom est indiqué. Le logo du Centre collégial de développement de matériel didactique reste affiché dans le coin inférieur droit de l’écran. Christian Djoko Kamgain s’adresse directement à la présentatrice, qui est assise hors champ. Tout au long de l’entretien, la prise de vue alterne entre divers plans rapprochés à la taille et à la poitrine ainsi qu’un gros plan sur le visage de l’intervenant.]

Christian Djoko Kamgain : Je suis Christian Djoko Kamgain. Je suis d’origine camerounaise. Je suis titulaire d’un doctorat en philosophie de l’Université Laval. Mais anciennement, j’ai eu un master en droits de l’homme et action humanitaire de l’Université catholique d’Afrique centrale et une maîtrise en philosophie française et allemande.

Je suis là pour vous présenter la philosophie africaine ou, du moins, les philosophies africaines.

[Audio : En voix hors champ, la présentatrice pose une première question.]

[Infographie : Au centre de l’écran, on relève la question : « Qu’est-ce que la philosophie africaine? »]

Sophie Savard-Laroche : Qu’est-ce que la philosophie africaine?

Christian Djoko Kamgain : La philosophie africaine… En fait, on définit généralement la philosophie – ou du moins, une des définitions de la philosophie – à partir de trois choses, c’est-à-dire un objet, une méthode et une finalité. Il y a autant de définitions de la philosophie qu’il y a de philosophes, dit-on, mais ça, c’est au moins un des éléments qui permettent de définir la philosophie en général.

La philosophie africaine aussi a un objet, qui est la totalité du réel, une méthode et une finalité. Mais la spécificité de la philosophie africaine, c’est qu’elle naît de la lutte. Elle naît d’une douleur, et c’est ce qui fait sa spécificité. La douleur liée, par exemple, à l’esclavage. La douleur liée, par exemple, à la colonialité. La douleur liée, par exemple, à l’impérialisme et à toutes sortes d’oppressions. C’est ça la spécificité de la philosophie africaine.

[Audio : En voix hors champ, la présentatrice pose une deuxième question.]

[Infographie : Au centre de l’écran, on relève la question : « En quoi la philosophie africaine est-elle utile pour penser des enjeux actuels? »]

Sophie : En quoi la philosophie africaine est-elle utile pour penser des enjeux actuels?

Christian : Pour répondre à cette question, il faut d’abord tenir compte du fait que, jusqu’à à peu près 1500, le monde était à la fois non capitaliste et polycentrique.

Christophe Colomb « découvre » l’Amérique. C’est symboliquement l’idée selon laquelle, à un moment donné, une pensée située historiquement se pose en s’opposant à toutes les autres ou se présente comme la pensée grand A, c’est-à-dire la pensée universelle.

[Image : On montre brièvement la présentatrice en position d’écoute active, puis on revient à un plan rapproché de Christian Djoko Kamgain.]

Donc, il y a une matrice coloniale de pouvoir qui s’est installée, qui a aussi déteint sur l’Afrique.

Alors, aujourd’hui, la volonté des philosophies africaines, c’est de déconstruire, en quelque sorte, cette matrice coloniale du pouvoir et d’offrir un son de cloche, pas nécessairement dans l’optique de se présenter comme étant un substitut à une autre pensée universelle, mais comme étant une voix parmi tant d’autres. L’idée est de provincialiser la pensée occidentale et de montrer qu’il y a d’autres pensées qui peuvent contribuer à la construction, à la coconstruction des savoirs.

Je prends un exemple simple, sur la question, par exemple, de la crise écologique. Aujourd’hui, les approches, que ce soit dans le droit, que ce soit en éthique, sont pensées en termes de sujet-objet, c’est-à-dire l’humain qui pense un objet qui est extérieur à lui.

Dans les pensées africaines, du Sud en général plutôt, et africaines en particulier, c’est une approche holistique.

[Infographie : À la gauche de l’écran, on relève l’explication de l’expression « sanctuariser la nature » : Créer des zones où s’appliquent des mesures de protection, incluant souvent un accès limité aux êtres humains.]

Un exemple : lorsqu’on débarque en Afrique, souvent, suivant les approches du droit, on va vous dire : « On veut sanctuariser la nature. » Or, il n’y a rien de plus erroné que de penser la nature sous cet angle-là.

[Infographie : À la gauche de l’écran, on relève l’explication de l’expression « anthropisation de la nature » : Transformation de la nature par la présence de l’être humain.]

Parce que, dans les pays africains, au Cameroun en particulier, d’où je viens, il y a une anthropisation de la nature qui contribue à sa préservation. Vous ne venez pas, en faisant sortir, par exemple, les Pygmées de ce lieu où ils ont toujours vécu dans une forme d’harmonie, pour dire : « On va sanctuariser ».

Donc, il y a une violence de part et d’autre qui est exercée, de ce point de vue. Or, les philosophies africaines disent : « Il faut sortir de cette conception-là pour arriver, par exemple, à penser la nature en lien avec les êtres humains ». Voilà un exemple que je pourrais donner pour illustrer.

[Audio : En voix hors champ, la présentatrice pose une troisième question.]

[Infographie : Au centre de l’écran, on relève la question : « Qu’est-ce que la désobéissance épistémique? »]

Sophie : Qu’est-ce que la désobéissance épistémique?

Christian : La grammaire de la désobéissance épistémique est simple : apprendre à désapprendre pour apprendre à nouveau. L’idée est de déconstruire les fondements idéologiques qui sous-tendent les disciplines et qui ont été occultés depuis la modernité occidentale par la rhétorique de l’objectivité, de la science, de la neutralité. Donc, voilà en gros, de manière très simple, très schématique, ce qu’est la désobéissance épistémique.

Il y a une matrice coloniale de pouvoir qui a déteint sur tout l’ensemble de la connaissance, que ce soit les arts, que ce soit la science, que ce soit autre. C’est l’idée d’un ego cogito qui se pense en s’exceptant du monde pour prendre ce qu’on a appelé le stand point – le point de vue de Dieu, le point de vue de nulle part – en oubliant que la construction des savoirs, occidentaux en l’occurrence, est toujours spatialisée, est toujours contextualisée, est toujours temporalisée et toujours genrée.

Donc, l’idée d’effacer le lieu de la production pour se présenter comme le point de vue de Dieu, le point de vue de nulle part, est une violence épistémique qui est exercée sur un ensemble de territoires, un ensemble de connaissances, un ensemble de peuples situés, selon le langage courant, à la périphérie.

Donc, la désobéissance épistémologique vise précisément à s’abstraire, justement, ou à déconstruire, justement, ce fondement idéologique qui est caché, qui est masqué par la rhétorique, disais-je, de la science, de l’objectivité, de la neutralité.

Le cogito, c’est bien un homme blanc situé quelque part à un moment donné, qui se pense comme étant le point de vue de Dieu. Ce n’est pas une femme, c’est un homme. Et il se pense comme un homme blanc, en l’occurrence, qui prend le point de vue de Dieu.

[Infographie : À la gauche de l’écran, on relève le remplacement de l’ego cogito (« je pense ») par l’ego conquiro (je conquiers).]

Et cet ego cogito devient ego conquiro, comme on dit souvent. Un ego conquérant qui va s’imposer à partir, comme je le disais, de 1492 à l’échelle de la planète.

Et, une fois de plus, l’idée n’est pas de « renvoyer aux calendes grecques » la pensée occidentale en montrant qu’elle n’a rien apporté, loin s’en faut. L’idée, c’est simplement de provincialiser la pensée occidentale. C’est de montrer que, dans le concert, dans la coconstruction des savoirs, il y a d’autres possibles.

J’ai appris la philosophie africaine un peu en contrebande de ma formation, c’est-à-dire à la marge. C’est pour vous montrer l’étendue, justement, de cette colonialité de pouvoir, qui infecte même, qui inhibe même, finalement, les institutions universitaires au Cameroun ou en Afrique en général.

Donc, il y a un problème qui n’est pas simplement de l’ordre d’une volonté de l’Occident de soumettre épistémologiquement, ou d’acculturer le Sud ou l’Afrique en particulier, mais il y a aussi une espèce d’intériorisation, finalement, de cette matrice coloniale de pouvoir qui fait qu’on a des impensés, des oublis importants jusque dans les institutions qui sont censées, finalement, nous faire naître intellectuellement, mais aussi d’un point de vue identitaire.

Et, parlant du point de vue identitaire, la conséquence de ce type, de cette matrice coloniale, de cet état des lieux, c’est qu’il y a une crise identitaire qui est patente en Afrique.

[Infographie : À la gauche de l’écran, on montre la couverture du livre Peau noire, masques blancs, de l’auteur Frantz Fanon.]

C’est-à-dire que Fanon, dans le livre Peau noire, masques blancs, le disait. Il disait qu’il y a une forme – et là, je le cite de mémoire – une forme d’exacerbation affective du Noir qui, finalement, se refuse, qui refuse son identité et qui pense que son salut se trouve dans le genre d’un blanc, c’est-à-dire la volonté, finalement, de se couper, de sortir de son identité pour épouser une identité blanche. Ça passe souvent par les façons de faire, les manières de faire.

En Afrique, parfois, vous entendez quand quelqu’un fait quelque chose de bien, on dit : « Ah, mais il agit comme un blanc! » Je ne sais pas si vous imaginez la violence, c’est-à-dire que les référents du bon, du bien, du beau sont souvent rattachés à la blanchité en quelque sorte.

Donc, vous pouvez voir jusqu’à quel point la violence de cette matrice coloniale est importante. Et, de ce point de vue, la philosophie africaine se pose justement comme une solution, une force de réappropriation de cette identité, qui n’est pas une identité exclusive. Mais c’est simplement de se dire : « On ne peut être ouvert à l’autre – ***, comme disaient les Grecs – que si on est fortement ancré dans sa propre identité. » Parce que même au carrefour du donner et du recevoir, il faut déjà avoir quelque chose à donner, sinon finalement on se laisse phagocyter par l’autre.

[Infographie : À la gauche de l’écran, on relève le titre de l’article de Christian Djoko, « Le printemps de l’extrême droite » (2018, 26 juin), publié par HuffPost Québec.]

J’ai écrit un article : « Le Printemps de l’extrême droite ». Et, pour moi, le constat que je faisais, c’est que le printemps de l’extrême droite coïncide avec la volonté des subalternes d’hier, de ceux pour qui on parlait, de s’approprier leur propre parole, de revendiquer, de sortir de la périphérie pour se dire : « Je ne revendique pas autre chose que d’exister par moi-même, et surtout de prendre ma place et non pas de prendre une place qu’on m’a assignée bien avant ma naissance. »

C’est aussi ça, toute la question du racisme. C’est-à-dire ce dont traite la philosophie africaine. C’est-à-dire qu’il y a une prise en otage anticipée de ce que je suis. Avant d’arriver, je suis déjà pris en otage par un certain nombre de considérations.

Donc, tout ça, c’est des questions qui sont traitées parce que… c’est pour ça que j’ai insisté sur la question des oppressions. C’est très important comme élément pour comprendre ce qu’est la philosophie africaine, qui naît d’une violence et qui se pose en une réaction. Une réaction non pas, comme je le disais, pour faire culpabiliser le monde, mais pour dire simplement que les frontières de l’humanité ne s’arrêtent pas à un certain niveau, c’est-à-dire qu’elles nous concernent toutes et tous. Voilà.

[Fondu au noir.]

[La musique de fond cesse.]

Fin de la vidéo

Début du texte du générique de la vidéo

Conception pédagogique

Benoît D’Amours Sophie Savard-Laroche

Présentatrice

Sophie Savard-Laroche

Personne invitée

Christian Djoko Kamgain

Production vidéo

Production Arborescence

Chargé de projet CCDMD

Michel Hardy-Vallée

Fin du texte du générique de la vidéo

[Texte à l’écran : https://atopos.ccdmd.qc.ca © Centre collégial de développement de matériel didactique, Collège de Maisonneuve, 2025]